mardi 13 mars 2012

Les Danaïdes vous saluent bien




Il paraît que la Grèce va devoir quand même, encore, faire un plan d'austérité.
Si, si, je vous jure, c'est écrit .

Ces Grecs dont le gouvernement pensait avoir brûlé ses créanciers en leur "imposant" une décote de 70% du montant de leur dette. Je mets "imposant" entre guillemets parce que vous avez tous noté qu'aujourd'hui, tout placement à risque détenu par les banques est quasi-automatiquement garanti par la BCE pour éviter l'étincelle qui provoquerait la faillite générale du système bancaire. La Grèce n'a donc rien imposé à personne.

Pourtant, ayant remarqué que certains grecs se payaient encore le luxe de porter des vêtements, la troïka prépare gentiment le neuvième plan d'austérité en deux ans.

Le neuvième.

On pourrait se demander ce qu'il reste à hypothéquer au bout de huit plans. Les organes des personnes âgées, peut-être ?

La Grèce ne pourra jamais rembourser. Tout le monde le sait. Un tel déséquilibre se serait réglé dans un temps moins civilisé par une guerre ou une colonisation. Aujourd'hui, le prix du sang prend des chemins plus détournés. Il est prélevé par les agents du FMI, qui s'assurent que le pays endetté soit correctement puni pour avoir osé mettre en danger les banques occidentales. Car étant établi qu'une telle dette est irremboursable, c'est bien de punition et non de remboursement qu'il s'agit. Ce à quoi nous assistons équivaudrait pour un individu à une condamnation à vingt ans de travaux forcés... Excepté qu'un individu aurait eu droit à un juge et un avocat, qui aurait, non sans bon sens, fait valoir qu'on ne condamne pas quelqu'un aux travaux forcés pour cause d'insolvabilité.

Mais ce cas clinique, teinté de racisme et de ces-feignasses-du-sud-l'ont-bien-cherché, est incomparablement plus révélateur de la pathologie des bourreaux.

Il est admis par l'ensemble des économistes, une bonne majorité des hommes politiques, et même par un Paul Krugman qui court encore un peu, que la situation grecque est bien pire aujourd'hui qu'au début de la crise quand avait été imposée en moins d'une heure au gouvernement Papandréou la désormais proverbiale austérité. Ce qui étonne peu, étant donné que c'est précisément le remède qui a amplifié le mal. Même les plus baveux des partisans acharnés du serrage de ceinture n'en sont plus à défendre la politique menée en Grèce.

Bref, tout le monde... Sauf les gens du FMI et de la Commission Européenne, qui ne remarquent rien, pour une raison ne pouvant relever que de la science-fiction (peut-être évoluent-il dans une version alternative de l'univers où l'économie de marché fonctionne vraiment.) Nous sommes beaucoup à être sidérés par les ornières dont semblent affublés les technocrates bruxellois : appliquant une recette à la nocivité toute démontrée, ils sont incapables d'imaginer d'autre solution que de l'appliquer, encore, encore, encore et encore. On se croirait devant les médecins de Molière, saignant à mort leur patient, et le blâmant une fois mort d'un métabolisme trop faible.
Mais aussi devant les notables de l'Ancien régime en 1788, voyant que tout s'apprête à partir en vrille, et n'imaginant pas autre chose que de maintenir l'ancien ordre de leur société. Par excès d'ignorance, dans les premiers moments, parce qu'on préfère d'abord établir les diagnostiques les moins gênants, tous farfelus qu'ils soient. C'est la faute du roi trop dépensier, des paysans indisciplinés, des philosophes impies, de l'Etat grec corrompu, des fonctionnaires feignants, des citoyens fraudeurs. Mais cet aveuglement ne dure qu'un temps. Le moment arrive toujours quand la réalité fracasse les dénégations désespérée et si à ce moment-là, ces messieurs refusent encore de la voir, ils franchissent le fossé qui sépare l'ignorance de la pathologie.

Encore une fois, même les plus bornés ont aujourd'hui reconnu que le problème de la Grèce et globalement de l'Europe est que, comme en 1789 en France, les riches ont voulu tout simplement arrêter de participer à l'effort collectif, et que la sécheresse fiscale qui en est la conséquence a forcé l'Etat à un endettement suicidaire.

Pourtant, la troïka continue de mener, tête baissée, les yeux fermés, l'Europe dans un mur. Est-ce parce que les belles gens qui les dirigent sont si effroyablement imbus d'eux-même qu'ils trucideraient le monde plutôt que reconnaître leurs torts ? Un peu comme au FMI, où les chercheurs ont pour instruction de taire l'inefficacité de la politique de la maison même quand celle-ci leur crève les yeux ?

Quelque soit la psychose sous-jacente, elle est indiscutablement spectaculaire.

Des messieurs en costumes, les uns derrière les autres, emplissant et remplissant le tonneau des Danaïdes, et qui, ne sachant ni s'imaginant faire autre chose, ne peuvent pas plus arrêter leurs gestes mécaniques que ces bons vieux balais...