mardi 20 novembre 2012

Frédéric Lordon

Frédéric Lordon parle un français précieux, drôle, et à peine hermétique pour peu qu'on prenne la peine de l'écouter jusqu'au bout - un ton auquel peu d'économiste du CNRS nous avait habitués. Mais cet économiste-là, un des derniers de l'école régulationniste, fait partie des "Atterrés" et s'est fait une spécialité, dans les médias,  d'expliquer les failles profondes du système bancaire actuel. Dans des détails parfois arides, je vous l'accorde, mais absolument nécessaires.
Pour ses travaux plus confidentiels, Lordon interroge, sur des points plus philosophiques, la psychologie qui se cache derrière la conception néolibérale du travail, et la façon dont elle articule les passions des employeurs et celles des employés (petit coup de coude à mes camarades du milieu de l'édition.)

Ouvrages :



Conférences :

Invité de l'émission "Ce soir ou jamais" - Sur la faillite du système bancaire


Etat de décrépitude de la zone Euro


Invité de l'émission "D@ns le texte" sur Arrêt sur image - Sur Spinoza et Marx


Bernard Friot

Bernard Friot est un sociologue, proche du PC, qui a consacré ses recherches à la façon dont la société conçoit et finance salaires, investissements et retraites. Ses réflexions, fascinantes, remettent en cause des conceptions apparemment gravées dans le marbre et dessinent ce que serait un système non-financiarisé...

Ouvrages :


Conférences :

Salaire à vie - Un salaire, pas un revenu

Salaire à vie - Pour en finir avec le chômage



jeudi 25 octobre 2012

L'aviation de réserve du capitalisme

Octobre 2012 aura été le mois des volatiles.

Je ne parle pas du piaf parisien moyen, roucouleur et pondeur d'oeufs même pas coque dans mes pots de fleurs. Lui, il fait ce qu'il peut. Je ne parle pas non plus de la volaille poulaillère que la femme de Manuel Valls a fait intervenir rue de la Roquette pour déloger sans plus de raison que cela les SDF qui salissaient son trottoir. Je parle de ce petit coup de bélier que les ultralibéraux ont mis dans la porte de l'Etat en utilisant comme chair à canon un petit groupe d'auto-entrepreneurs mentalement lobotomisés.

Rappelons les faits : suite à une rumeur faisant état d'un projet gouvernemental de taxation des plus-values, une agence de com de droite, dont je soulignerai par pure gourmandise qu'elle est fiscalement domiciliée hors de France, a lancé sur le net le buzz des entrepreneurs "geonpis" qui est le verlan de "pigeon", ce qui prouve bien que ce sont des gens modernes. Puis le net a pris le relai. Une certaine twittosphère constituées d'auto-entrepreneurs aussi ingénus qu'inféodés à la niche fiscale qui conditionne leur statut a pris le relais, suivis du Medef qui, sur les media généralistes, en a joui gravement. La suite, vous la connaissez : le gouvernement a reculé avant même d'avoir fait mine d'avancer.

Je ne m'étendrai pas sur l'ahurissant message de faiblesse que notre Etat "de gauche" a ainsi fait parvenir au grand capital.

Ce qui est intéressant ici, c'est comment des gens fiscalement précaires comme les auto-entrepreneurs ont été amenés à défendre leur précarité bec et ongles, avec comme seul justification morale une prétention à être plus malins et talentueux et courageux que tous les autres.
Ou comment le rêve de trente-mille glandus qui se fantasment en Steve Jobs entretient la machine à exploiter.

Notez que ce n'est pas nouveau du tout, du tout. Souvenez-vous , au XIXe siècle...

Ben quoi ? Vous pensiez pouvoir venir squatter ma poche intérieure et échapper à la séance diapo de rigueur ? Raté.

Donc, au XIXème siècle, le mode de production dit "capitaliste" établit définitivement sa domination sur l'Europe et l'Amérique. Ce n'est pas par l'échelle de la production ni par la marchandisation que la nature de ce mode de production social diffère des anciens, mais par la nature des relations entre ses acteurs. En effet, la marchandisation existait déjà depuis longtemps - de nombreuses places de marchés où s'échangeaient aussi bien des denrées que des titres bancaires existaient déjà depuis deux bons siècles.
Non, ce qui est nouveau avec le capitalisme, c'est la création d'un marché du travail, où désormais les offreurs de force de travail (les ouvriers) seraient mis en relation avec les demandeurs (employeurs) dans le même esprit qu'un vendeur de choux négociait avec un acheteur de choux sur le marché des choux, c'est-à-dire en postulant leur égalité humaine et juridique. Là où la féodalité organisait les rapports de production hors de la négociation marchande (on travaillait pour le seigneur parce qu'il était le seigneur et pas pour un salaire), les révolutions inspirées des Lumières, en déclarant les individus égaux, permettent la création d'un marché du travail.

Bien. Jusque-là, rien à redire en théorie sur un monde où des individus égaux négocient entre eux pour établir une relation contractuelle consensuelle qui porte les intérêts de chacun sans nuire à ceux de l'autre.

Sauf que dans les faits, ça a été un massacre. Remplacer le mot "inégal" par le mot "égal" dans un contrat fait sans doute plus joli, ça n'a pas suffit cependant à effacer la dure réalité : il y avait d'un côté des types affamés qui mourraient dans la semaine s'ils ne prenaient pas le premier boulot, et de l'autres des gens souvent héritiers des anciennes fortunes aristocrates ou constituées à l'époque de la féodalité qui pouvaient se passer des premiers au besoin. Il n'y a jamais d'égalité dans la négociation  entre travail et capital, parce que le capital peut patienter des semaines ou des mois avant d'être rentabilisé alors que le travail, lui, doit manger et nourrir ses enfants tous les jours.

Quel rapport avec les pigeons, me diriez-vous ?

Celui-ci : le système décrit ci-dessus a la formidable propriété de faire croire au travail qu'il joue son intérêt. Le travailleur est juridiquement égal à l'employeur et par conséquent, tout le reste est sensé être affaire de choix et d'habileté personnelle. Si vous n'y arrivez pas, vous devez réessayer et surtout ne jamais remettre en question le cadre de cette compétition parce qu'après tout, vous avez l'égalité ! Que voudriez-vous de plus ?
Les jeunes d'aujourd'hui ont tellement intégré leur précarisation qu'ils ne songent même plus à lutter contre. Leur malheur présent est gravé dans le marbre et seul leur reste, pour se consoler, un hypothétique lendemain vengeur où, enfin, leurs efforts paieront, leur génie sera reconnu et leur compte en banque mieux rempli. Une sorte de crédit sur l'ambition, en somme, qui viendrait engraisser le reste des crédits sur lesquels nous vivotons aujourd'hui.

Au XIXème siècle, les ouvriers ont appris à la dure que leur isolation sous prétexte d'en faire des acteurs économiques indépendants et égaux, et leur mise en concurrence individuelle, n'avait abouti qu'à leur mise en esclavage pure et simple. Il a fallu la destruction des jours fériés, la généralisation du travail des enfants et les déportations massives de main-d'oeuvre selon les besoins des producteurs pour qu'ils s'en rendent compte. La culture de l'auto-entrepreneur d'aujourd'hui, résultat de l'inculture historique et politique crasse de la génération dite "Y", est en train de reproduire le même schéma.

Donc à tous ces types qui ne veulent pas participer aux efforts collectifs et qui ne rêve que d'être le seul mec sur cent qui s'en sortira, souvenez-vous d'une chose. En face, les riches ont une stratégie de classe. En face, ils se serrent les coudes. En face, ils ont lu et très, très bien compris Marx.

Et si un jour ils vous acceptent en leur sein, ce ne sera jamais pour votre génie ils s'en moquent, mais ce sera toujours par gratitude d'avoir trahi les vôtres.





mercredi 17 octobre 2012

La nuit ne fait que commencer...


Il y a des matins qui n’en sont pas vraiment.

Il y a des matins où il fait sombre, des matins où la journée qui s’annonce a des allures de nuit blanche à venir.  

Des matins où il faut tomber du lit à six heures pour aller se faire opérer de ce corniaud de ménisque, et s’y être préparé depuis une semaine de rend pas l’expérience plus joyeuse.

Et il y a des matins où une nouvelle dont  vous, et tant d’autres, aviez prédit l’arrivée depuis deux ans débarque sur vos flux RSS et vous n’avez rien pu faire, ni vous ni les autres, pour que cela n’arrive pas.  
Des matins où on lit que le gouvernement grec issu des élections de juin a avancé l’idée d’évacuer ses îles de moins de 150 habitants – pour pouvoir vendre les dites îles au secteur privé.

Un gouvernement issu du suffrage universel considère l’idée de vendre des parcelles de son territoire national aux investisseurs privés, et d’en déporter ses habitants.

C’est possible. C’est en Europe. C’est en Grèce. 

Je pourrais faire un laïus sur la stratégie du choc et l’utilisation par les capitalistes du coma économique de la société grecque pour démembrer la dernière mission régalienne qui lui restait, celle de préserver l’intégrité du territoire national – ce qui est le rêve ultime des ultra-libéraux : avoir enfin leur pays à eux, sans Etat.
Sur le mépris, l’immense et cosmique mépris dont il faut faire preuve envers l’idée même de peuple et de démocratie pour oser même proposer cette éventualité.
Je pourrais ironiser sur cette obsession délirante d’éviter la faillite de la Grèce, quitte à détruire la Grèce.

Mais ce qui me saute aux yeux, plus que jamais, c’est l’effondrement complet et transversal d’un mythe. Le gouvernement Samaras est issu du suffrage universel, en tant que tel porteur de la « Volonté nationale » et sensé porter les intérêts de son peuple. Hors il conçoit la possibilité de détruire son propre pays. Cela doit nous imposer deux conclusions.
Premièrement, le gouvernement représentatif n’est pas la démocratie et nous vivons dans un mensonge depuis deux cents ans. Il n’y  rien de tel que la « volonté nationale » portée par une assemblée d’élus, à moins qu’on ne conçoive que la nation puisse vouloir explicitement s’autodétruire. La volonté nationale, si une telle chose existe, s’exprime directement par le peuple assemblé, ou ne s’exprime pas. Aujourd’hui, elle ne s’exprime pas. Ni en Grèce, ni en France, ni en Allemagne, ni en Espagne, ni en Italie, ni aux Etats-Unis.  La tenue d’élections est une illusion – on n’y choisit pas nos lois, on y choisit nos maîtres, ceux qui pendant cinq ans auront quartier libre pour faire ce qu’ils veulent, sans aucune possibilité de contrôle par nous.  Je dis bien aucune, car il est bien évident qu’après l’échec du vote de 2005 sur le traité constitutionnel européen, plus jamais un gouvernement représentatif ne prendra le risque de refaire voter quoique ce soit d’important par un référendum populaire.

Deuxièmement, il va bien falloir ouvrir les yeux sur la nature de l’agression qui frappe nos pays les uns après les autres. Un pays, la Grèce, fait face à des gens prétendant avoir des droits sur elle et sur ses finances. Elle est obligée de se rationner pour faire face. Sa population crève de trouille et de haine, son gouvernement répond par la torture policière d’une main (oui, ça a commencé) et par la montée des ligues fascistes de l’autre. Et toujours dans le cadre de cette confrontation, ce pays finit par perdre du territoire par déporter ses habitants. 

Comme il s’agit, non pas d’un pays étranger, mais d’intérêts  financiers privés qui agressent par gouvernements vassaux interposés (Allemagne et France) des collectivités non marchandes détentrices de bien commun, je pense que je pourrais parler de lutte des classe. Mais la lutte des classes, c’est ringard, hein ? Ça n’existe plus, pas vrai ? Même Fleur Pellerin le dit. Donc je ne vais pas dire « lutte des classes ».

Vous pouvez vous boucher les oreilles et continuer d’appeler ça une « crise économique ». 

Moi, je vais commencer à parler de guerre.


vendredi 21 septembre 2012

Conspirationnalisme

Je vais faire une confidence que mon arrogance naturelle de sciences-potard n'aurait jamais cru devoir faire un jour.

Je comprends enfin les conspirationnistes.

Depuis que je suis en âge de glisser des petits papiers dans des urnes, j'ai dû supporter les avances bizarres de ces théories paranoïaques et délirantes, énumérant les raisons pour lesquelles les américains n'ont pas marché sur la lune ou pourquoi les illuminati ou les hommes-reptiles ou les deux dominent le monde en secret. Je n'y ai jamais accordé crédit, et ce n'est toujours pas le cas. Mais surtout, je n'ai jamais compris comment de pareilles élucubrations pouvaient germer dans des esprits humains adultes.
L'oeuvre de fous, pensais-je.
Pendant mes études supérieures, qui est le moment où mon milieu social termine pour de bon de modeler le mépris de classe chez sa progéniture, on me fit comprendre que ces histoires naissaient naturellement au sein de ce pauvre peuple inculte qu'il nous appartenait de diriger.

En d'autres termes, pourquoi perdre du temps à essayer de trouver des raisons cohérentes aux delirium tremens de la cohue des moutons ? Ils sont analphabètes, méchants et laids. Si ça se trouve, certains d'entre eux n'ont même pas lu Machiavel.

L'argument de la stupidité pré-postulée des tenants de la thèse était évidemment très confortable pour des gens comme nous, qui avions tout de même autre chose à faire (comme, je vous le rappelle, apprendre par coeur le texte de l'ex-future Constitution européenne.) Et puis, comme nous étions tous raisonnablement de gauche, cela nous permettait de ne pas avoir à regarder dans les yeux la preuve la plus flagrante de notre échec intellectuel.

Car la gauche avait abandonné la pensée matérialiste depuis les années 80, c'est-à-dire, oh, trois fois rien : juste le squelette de toute pensée critique un tant soit peu efficace du capitalisme. Des notions qu'aucun militant ne pouvait ignorer dans les décennies précédentes. Des notions comme la solidarité de la classe dominante, la tendances naturelles de tout pouvoir à tester ses limites - et surtout, la totale vanité qui consiste à attendre des individus un comportement vertueux dans le cadre d'un système qui pousse au vice. Or, malheureusement, ce n'est pas parce que vous arrêtez de parler des problèmes que ceux-ci disparaissent. Les souffrances et les escroqueries dont les peuples étaient les victimes ont continué, simplement les nouveaux arrivants qui tentaient de protester contre elles ne savaient plus les nommer. Avec la perte de vitesse du marxisme et de sa terminologie, complexe mais si utile pour conceptualiser les problèmes posés par l'ordre social conservateur, les jeunes se sont retrouvés verbalement désarmés pour comprendre ce que le libéralisme était en train de leur faire subir.

Les théories du complot ne sont que des tentatives maladroites et infantiles de ré-identifier la lutte des classes.

Elles sont maladroites parce que si les conspirationnistes subodorent bien que le fond du problème est l'agressivité d'une classe dominante, solidaire, manipulatrice et consciente de ses intérêts, ils ne parviennent pas à l'intégrer dans un système économique général complexe parce que cela demande une longue réflexion sociologique et économique - et ils se bornent à s'agiter sur les manifestations les plus spectaculaires de cette solidarité de classe. Elles sont infantiles parce qu'elles s'arrêtent généralement au spectaculaire et spéculent des scénarios, certes très appréciables d'un point de vue de romancier, mais d'assez mauvaise facture de celui du réalisme politique.

Je ne parle même pas des théories les plus fumeuses et des canulars comme celui des hommes-reptiles (alors que, avouons-le, ce serait singulièrement cool si c'était vrai.) Je pense aux faits avérés que les conspirationnistes montent en épingle comme s'ils étaient la clé de notre soumission. Or, autant les contestataire sérieux peuvent sans trop de problème se différencier des andouilles qui hurlent aux Illuminati et aux aliens, autant l'insistance puérile de ces mêmes conspirationnistes sur la Trilatérale et le groupe de Bilderberg nous a fait beaucoup beaucoup de mal. Tellement de mal, en fait, que ces maladresses ont bien failli être le coup de grâce médiatique de toute pensée critique sérieuse du système.

Aujourd'hui, et c'est malheureux, les gens de gauche doivent dépenser une somme d'énergie folle pour arriver à parler de l'existence de la stratégie de la classe dominante sans qu'on leur renvoie systématiquement le conspirationnisme à la tronche. Quand il s'agit de critiquer l'agenda caché du FMI, ou les discussion à porte close de la Commission Européenne, on doit s'y prendre avec des pincettes. Alors qu'il me semble que l'existence du FMI et de la Commission, ainsi que l'opacité de leurs délibérations, sont raisonnablement établies. Répétons-le, il y a deux erreurs à ne pas faire en matière de complot : en voir partout, et n'en voir nulle part. La preuve en est que que certains complots échouent et finissent par être mis au grand jour. 

Parce que bien sûr, Bilderberg et la Trilatérale existent. Tout comme le dîner du Siècle à Paris existe. Mais si ce n'était pas le cas, les problèmes ne seraient-ils pas les même ? Le système actuel produit et reproduit naturellement une classe oligarchique qui concentre les pouvoirs économiques et politiques, et qui assure sa cohésion par des mariages, des écoles privées pour les enfants et des lieux de vacances communs. Le plus étonnant serait plutôt que n'existât pas, dans un tel contexte, de lieu de rencontre entre ses membres.

Une critique sérieuse, qui nous permettrait de concevoir une alternative au système, ne peut qu'être systémique et matérialiste. Certes, il y a des complots. Il y a des discussions ourdies, loin des oreilles du peuple, pour le manipuler : il n'y a qu'à lire les témoignages des compagnons de Bonaparte, de Thiers, ou l'histoire de Vichy pour s'en rendre compte.  Mais s'attarder à s'indigner sur le manque de vertu de ces comploteurs n'est qu'une perte sèche d'énergie. Ils sont les produits naturels d'un système qui pervertit irrémédiablement ceux qui, même avec les meilleures intentions du monde, acceptent d'y occuper une place de pouvoir. Les gouvernants ne sont jamais meilleurs que le système qui les encadre. Ou, pour citer Saint-Just accusant la monarchie, nul ne peut régner innocemment. Et de la même manière que le roi ne pouvait représenter l'intérêt général, non pas à cause de sa mauvaise nature, mais bien parce que la fonction de monarque qu'il remplissait était nuisible, nous ne pouvons attendre d'institutions iniques qu'elles produisent autre chose que des hommes iniques.




mardi 4 septembre 2012

Responsabilités des honnêtes gens responsables


Allez, réveil, alarme, frappage du réveil, deuxième alarme, redressement, posage de pied par terre, essuyage des crottes de yeux.

Douche. Café.

Ouverture de porte. Pluie.

Rentrée.

Je ne sais pas pour vous, mais j'ai l'impression d'avoir plané au-dessus de l'été. Sans faire exprès, comme si le net avait pris une grande respiration après les élections. On se ressource, on lit, on prend le temps d'approfondir ce qu'on pense déjà savoir. On prend de la distance, avec l'espoir un peu vain que le reste du monde fasse la même chose.

Bien sûr, le reste du monde s'en fout. Il continue.

Vous aurez donc la traditionnelle vilaine déception des septembre post-présidentielle. Je pense à tous ces braves gens qui pensaient sincèrement que le changement ce serait maintenant, et qui rentrent de vacances sous une pluie de traités européens Merkozy et d'évacuation de camps de roms. Et plutôt que de faire du hollande-bashing, même si ça me démange un peu, je voudrais en profiter pour revenir sur ce qu'est traditionnellement le centre-gauche dans notre pays.

J'en ai déjà parlé une ou deux fois ici, et sans aller jusqu'à dire que la gauche modérée française était, selon la formule consacrée, la voiture-balai du capitalisme, mon analyse en faisait au moins le plumeau.

Il se trouve que j'ai peut-être été un peu soft. Voici pour me faire pardonner une petite Histoire.



Il était une fois un royaume qui s'appelait la France et qui était couvert de dettes. Tellement couvert de dettes que la faillite menaçait. Il faut dire que le roi de France, un brave con nommé Loulou XVI, s'était adjoint un ministre des finances qui s'appelait Necker, un suisse qui dans le civil faisait banquier, ce qui lui avait permis de prêter lui-même à l'Etat dont il dirigeait les finances - à hauteur de 14% de la dette totale du pays.

Je sais, ça vous rappelle quelque chose. Ne vous laissez pas déconcentrer.

Donc monsieur Necker organise la dépendance de l'Etat vis-à-vis de ses créanciers, et souffle au roi Loulou que le seul moyen de renflouer les caisses serait de lever de nouveaux impôts - parce que sinon, il faudrait faire défaut et que monsieur Necker a un intérêt personnel à ce que ça n'arrive jamais.
Oui, mais le roi, même absolu, ne peut pas lever de nouveaux impôts sur le petit peuple - pour la bonne raison qu'il n'y a plus rien à sous-tirer au petit peuple déjà écrasé par des taxes féodales. Il faut donc prendre de l'impôt aux plus riches: les notables (c'est-à-dire les bourgeois, théoriquement du Tiers-Etats mais dont le niveau de vie s'était rapproché de celui de la noblesse), et les aristocrates.

Les notables et les aristocrates refusent et exigent la tenue d'Etats généraux, seuls capables, selon eux, de voter de nouveaux impôts. Chacun fait son petit calcul : les aristocrates, qui ont été mis au placard du pouvoir depuis Louis XIV, y voient l'occasion de revenir aux affaires en imposant des trucs au roi Loulou XVI. Les notables, eux, qui en ce début de révolution industrielle sont déjà les principaux créateurs de valeur du pays, y voient enfin l'occasion de s'emparer d'un rôle qu'ils estiment leur revenir légitimement : celui de nouveaux privilégiés d'un nouveau système.

Mais pour le moment, les notables et un certain nombre d'aristocrates sont alliés de circonstance : pour accomplir les ambitions des uns comme des autres, il faut d'abord limiter le pouvoir du roi et imposer, comme les anglais l'ont fait un siècle plus tôt, un texte juridiquement supérieur à la volonté royale. Une constitution.

La première révolution, celle de 1789, est le résultat de cette ambition. Elle a vocation à limiter le pouvoir du roi au profit de ceux qui possèdent réellement les moyens de production du pays (on ne dit pas encore beaucoup "capitalistes" mais ça va venir.) Contrairement à un préjugé répandu, elle n'a pas du tout du tout ni la vocation de devenir une république, ni de devenir une démocratie. L'assemblée devrait être élue au suffrage censitaire, c'est-à-dire qui filtre les électeurs : ne peuvent voter que ceux qui gagnent un certain montant d'argent, assez haut pour que seul l'exploitation d'une manufacture ou la rente foncière puisse le fournir.

Pourquoi ce refus de démocratie ? Parce que les révolutionnaires de 1789 ne sont, justement, pas du tout démocrates. La citation la plus éloquentes à ce sujet vient de l’abbé Sieyes :

“Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-même la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet Etat représentatif ; ce serait un Etat démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants.” (Discours du 7 septembre 1789)

Vous aurez naturellement tendance à penser qu'ils se sont méchament plantés : après tout, ne sommes-nous pas aujourd'hui en démocratie ?
Alors, scoop : si vous pouviez remonter dans le temps pour décrire notre régime représentatif à un intellectuel du XVIIIe siècle en le caractérisant de démocratie, il vous rigolerait au nez et vous répondrait que ce que vous décrivez, le régime électorale représentatif, est tout sauf une démocratie, et que le terme "démocratie indirecte" est une fumisterie. Une démocratie est un régime où l'assemblée des citoyens vote elle-même ses lois, et où les responsables sont tirés au sort parmis les citoyens.

Point barre.

Quand vous vous bornez à élire des gens qui décident pour vous, ça ne s'appelle pas "démocratie". Tous les hommes instruits au XVIIIe siècle savent cela.


Ca s’appelle une aristocratie représentative (aristocratie, étymologiquement : “gouvernement des meilleurs” et l'élection est justement le moyen d'identifier les meilleurs). On fait en sorte que le petit peuple n'ait surtout pas accès à l'Assemblée. On le fait intentionnellement.

Vous me direz que le petit peuple, de son côté, ne reste pas inactif. C'est vrai, le vulgus, lui, y croit pas mal, à cette révolution. D'abord parce que les notables en question savent bien lui parler : supprimer les privilège, la dîme versée aux curés, la gabelle... Il est tellement accablé, le peuple, que la simple promesse de lui retirer certaines des injustices dont il souffre suffit à le ranger du côté des bourgeois qui, selon les mots de l'historien Henri Guillemin, vont l'utiliser comme "bélier". Et puis il faut dire que parmis les élus du Tiers-Etats à l'Assemblée, il y a quelques gêneurs, des types qui croient vraiment qu'ils sont là pour défendre les petites gens.

Ce sont ces types-là, Robespierre à leur tête, qui vont embordéliser le petit plan raisonnable des notables. Il faut dire que Robespierre veut un suffrage universel. Il veut l'abolition de l'esclavage, le droit de vote pour les femmes, l'abolition du statut des juifs, celle aussi, à terme, de la peine de mort.... Et des lois sociales. Droit de se réunir entre travailleurs, une protection sociale, tout ça. Et ce n'est pas du tout sur la feuille de route des notables. Ca va leur casser leurs profits et produire des Assemblées imprévisibles.
La deuxième Constitution, celle de l'an I qui contient des innovations comme les droits économiques, une ébauche de possibilité de référendum, le droit et devoir d'insurrection et l'abolition de l'esclavage, ne sera jamais appliquée et un combat mortel opposera les Jacobins(extrême gauche) et les Girondins (gauche modérée) que ceux-ci finissentpar gagner, quand, en guillotinant à tour de bras et faisant passer les jacobins pour responsables, ils arrivent à retourner l'opinion parisienne contre eux.

Ce sont ces beaux girondins, peints par les livres d'Histoire comme si républicains, qui n'auront aucun scrupule à devenir ensuite bonapartistes, avant de fêter le retour de la monarchie en 1815 en la personne du frère de Loulou XVI.

C'est une question d'opportunisme et de lutte des classes. Entre la bourgeoisie et l'aristocratie, d'abord. Entre la bourgeoisie et le prolétariat ensuite. Ce n'est jamais une queston d'idéologie.

Le problème, c'est que les gens n'oublient pas facilement. Beaucoup de monde gardera en mémoire les avancées qui avaient failli se faire en 1793. Beaucoup de gens se souviendront des trahisons de Danton et Mirabeau, symptomatiques de la mentalité égoïste qui animait les bourgeois de l'époque. Et au fil du XIXe siècle, il n'y aura pas une seule insurrection qui manquera de s'y référer. En 1830 puis en 1848, les ouvriers révoltés osant réclamer l’application des principes de 1793 seront écrasés avec suffisemment de violence pour que l'envie de revendiquer leur passe pour une vingtaine d'année.

Ce qui nous amène à 1870.

Cette guerre-là est survolée très rapidement dans les livres d’histoire, en général. Une heure à tout péter dans une année de programme scolaire. On apprend que Napoléon III était bête, qu'il a voulu faire la guerre aux Allemands, qu'on a perdu, qu'il y a eu une révolte à Paris et hop, on est redevenu une république.

Pourtant, ce qui s'est passé là préfigurait déjà la mentalité bourgeoise qui nous vaudrait une nouvelle humiliation par les allemands soixante-dix ans plus tard. Et ce péché originel a stygmatisé le centre-gauche pour tous le reste de son existence.

En 1870, le Second Empire a depuis quelques années pris un tournant libéral. Les ouvriers ont presque le droit de se syndiquer. Les milieux populaires grognent. Les élites françaises, qui n'ont pas envie de passer leur temps à fusiller elles-même leur main-d'oeuvre, décident qu'une petite guerre pourrait être utile et détourner l'opinion publique vers une grande cause nationale un peu plus raisonnable que des avancées sociales. La prusse devrait être une proie facile. Par l'intermédiaire de l'Impératrice, on pousse Napoléon III à s'embarquer dans une guerre pour laquelle il n'est au début pas très chaud.
L'empereur avait du nez. L'humiliation de l'armée Française, encerclée à Sedan, est totale. Napoléon III lui-même est fait prisonnier.

Mince alors. Il y a maintenant un vide de pouvoir. Les notables n'avaient pas du tout prévu ça, et voient les milieux populaires les plus politisés, qui réclament depuis longtemps la république, sur le point de se saisir de l'occasion. Les notables gagnent alors du temps... en instaurant eux-même la république. Mais une république qu'ils maîtrisent, ayant pris de vitesse ceux qu'on appelle déjà les "socialistes". Une république transitoire, qui ne bouscule personne - on l'appellera le gouvernement des Jules, parce que ses cinq dirigeants du gouvernement transitoire s'appelaient tous Jules.

Pendant ce temps, on fait élire en catastrophe une Assemblée dans le pays. Cette Assemblée n'a, officiellement, qu'un seul mandat : décider, ou non, de la paix avec les Allemands.
Or... c'est là qu'est l'os. Les conservateurs ont vu la capture de l'Empereur, ont compris que le pouvoir impérial parti et l'armée occupée avec les Prussiens, les socialistes avaient toute latitude pour installer leur version de la République (avec lois sociales et tout ce qui va avec). Ces messieurs, et avec eux les généraux de l'armée, ont donc presque immédiatement déclenché des pourparlers de paix. Un maréchal retranché dans l'Est de la France va même jusqu'à offrir sa reddition à Bismarck s'il le laisse marcher avec ses hommes sur Paris pour y maintenir la populace sous contrôle. A ce moment-là, l'armée française a encore de la ressource. Gambetta a regroupé une armée à Tours et peut briser facilement le siège de Paris.

Pourtant les conservateurs vont couler son initiative, et échanger Strasbourg et Metz contre une paix rapide avec Bismarck.

Pendant ce temps-là, les parisiens se battent encore, croyant réellement que le gouvernement essaie de gagner la guerre. Mais les généraux ne poussent pas leurs offensives, s'arrangent même pour qu'elles échouent.

Ce qui permet de présenter aux électeurs les conservateurs comme les agents de la paix, et les vrais républicains comme des jusqu’au-boutistes forcenés.

C'est donc une chambre à large majorité royaliste qui est élue, avec à sa tête l'artisan de toutes ces magouilles : Adolphe Thiers.

Là, je fais ma passerelle avec le centre-gauche. Thiers a longtemps été royaliste. Pourtant, en 1870, il est devenu républicain. Pourquoi ? Parce que Thiers a une ambition : être une fois le chef de l'Etat français avant de mourir. Or, s'il ne peut pas devenir roi, il peut devenir Président de la République. De sa république. Une république conservatrice, où le peuple est soumis et où les possédants peuvent posséder tranquillement.
Thiers va s'acheter une conduite auprès des royalistes en écrasant dans le sang la "révolte"* de la Commune de Paris, utilisant une armée consituée de prisonniers de guerre libérés pour l'occasion par les Prussiens et ayant l'avantage de n'avoir pas été au contact des idéaux socialistes - il faut dire que les premiers soldats que Thiers avait envoyés avaient fait défection.

Une fois la sale besogne exécutée, Thiers va ensuite s'employer à convertir les conservateurs à la République. Pour cela, il a un argument imparable : la République avec régime électoral représentatif est, selon lui, un bien meilleur moyen de contrôle de la masse des travailleurs que la monarchie. La monarchie, c'est le pouvoir résultant de la volonté d'un seul homme : il peut être converti, contesté, délégitimé. Alors qu'une assemblée républicaine est incontestable : elle représente la volonté nationale. Même si la majorité n'a que 51% des voix. Et en plus, l'expérience montre que le peuple encore principalement rural vote très sagement comme on lui dit de voter et porte d'honnêtes notables au pouvoir.

C'est ainsi que les conservateurs vont virer leur cutie et devenir pro-république. Sauf que ce retournement de veste est difficile à vendre auprès de l'opinion publique. il faut masquer le conservatisme économique en faisant semblant d'être progressistes sur d'autres chapitres.

C'est là que l'Eglise catholique, dont l'influence baisse à une vitesse relativiste auprès du peuple, va devenir très utile. On va donc voir à la fin du XIXème siècle les Républicains modérés devenir violemment anticléricaux, et entretenir ainsi la confusion auprès des électeurs de gauche et de leurs rivaux socialistes.

Loin de moi l'idée de regretter le dégommage de curé qui a prévalu à cette époque : les calotins l'avaient largement mérité, et le retournement de l'opinion contre eux est le résultat de centaines d'années d'oppression du petit peuple. Les bourgeois de centre-gauche n'ont fait qu'en profiter. Mais il est important de ne pas se faire d'illusion sur leurs véritables intentions, qui n'étaient pas d'émanciper le peuple des curés, mais simplement de les remplacer par des instituteurs, qui doivent, selon les propre mots de Jules Ferry :

“Enseigner la bonne vieille morale de nos pères pour affranchir les ouvriers du joug de leurs passions et de leurs instincts” (c’est à dire leur apprendre à ne pas sortir dans la rue pour égorger leur patron au prétexte futile qu’ils aimeraient pouvoir manger de temps en temps).
Et la plus belle :
“Vous devez inculquer à vos élèves, en un temps où tant de passions et d’utopies font appel aux vains rêves, aux folles convoitises, cette idée qu’il y a, dans les choses humaines, des réalités plus fortes que les volontés humaines, des nécessités qui tiennent à la nature même des choses : que l’humanité est dirigée non par le caprice, mais par la science(…) Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère (…) cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !” (Discours de Jules Ferry à la Sorbonne, lors de la séance d’ouverture des cours de formation des professeurs le 20 novembre 1892)

On ne fait pas plus clair. Ce qu’il y a dans le colimateur de Jules Ferry, ce n’est pas tant l’Eglise. L’anticléricalisme est un prétexte. Non, ce qu’il y a d’important, c’est de lutter contre l’émergence des idées socialistes au sein du peuple. Ces idées qu’on avait horriblement réprimées lors de la Commune de Paris. Ces idées qui pour le moment n’ont accouché d’aucune dictature soviétique qui pourrait servir de cache-misère. Ces idées dont le seul crime à ce moment-là est de bousculer ce que ces honnêtes gens s’entêtent à appeler “l’ordre naturel des choses”, à savoir la priorité du droit de propriété sur tous les autres. À cette époque, ils le disent, tous, explicitement. Ils en ont tellement peur que beaucoup de députés de droite et de gauche modérée espèreront la guerre pour “éliminer le trop-plein de population ouvrière.” La Commune les a terrifiés. Entre 1880 et 1914, ils ne pensent qu’à une chose : faire barrage à l’ambition des socialistes d’instaurer un impôt sur le revenu.

Je parle toujours de la gauche modérée, pas de la droite.

On oublie vite ces trahisons. Parce que la stratégie qui consiste à racheter sa virginité régulièrement en compensant un conservatisme économique par un progressisme sur les affaires de moeurs marche toujours aussi bien. Faire de l’anticléricalisme à la fin du XIXe pour ne pas avoir à parler de l’impôt sur le revenu. Promouvoir le multiculturalisme dans les années 80 pour cacher la mise en solde de l’Etat par des privatisations odieuses. Promouvoir la parité et le PACS pour cacher la complaisance avec le patronat dans les années 2000. Parler du mariage gay aujourd’hui alors qu’on s’apprête à hypothéquer ce qui nous reste de souveraineté économique en ratifiant un traité européen honteux.

Il est important de comprendre que, si les lois sociales et la reprise en main économique demandent du courage et des sous, la libéralité sur la morale ne coûte rien - il n’y a qu’à laisser la société faire seule son travail d’évolution et se raccrocher au train. D’ailleurs, au moindre signe que la société n’est peut-être pas à cent pour cent derrière, vous voyez les chevaliers blancs du PS faire immédiatement marche arrière.

Je ne suis pas en train de dire que la droite pure et dure ne serait pas pire. Par contre, je soutiens que la gauche modérée au pouvoir pose au corps social un problème qui lui est spécifique : elle programme notre inaction politique en nous donnant, par ses multiples déguisements, l’impression que la lutte est finie. Alors que si nous avions deux sous d’honneteté, nous serions actuellement en train de lutter contre le gouvernement actuel avec presque autant d’acharnement que contre l’ancien, parce que sa politique, pour le moment, a changé d’à peine un iota.


Article fait d’après les boulots d’Etienne Chouard**, un peu, et d’Henri Guillemin, surtout. 

* J'ai mis révolte entre guillemets parce que la Commune a passé son temps à essayer de négocier avec Versailles pour éviter un affrontement. Les députés royalistes ont volontairement poussé au massacre parce qu'ils voyaient là l'occasion d'éliminer toute l'extrême-gauche d'un seul coup.

** Mise à jour : comme certains le savent, Chouard est devenu depuis largement infréquentable de par des sympathies (aveugles, espérons-le...) pour la clique soralienne, qu'il persévère non seulement à ne pas considérer comme fasciste, mais à ranger parmis les anti-système. Cela semble résulter d'un blocage intellectuel, d'un manque d'éducation politique matérialiste et d'une faute d'analyse chez lui, accompagné d'un braquage devant l'offensive des antifa contre lui. En ce qui me concerne, à l'époque où j'ai écris l'article, Etienne Chouard commençait déjà à déraper mais je gardais l'espoir que tout ça ne soit qu'un grand malentendu. Il a depuis persévéré, confirmé, et est devenu un habitué des conspi de l'UPR et d'E&R. Les thèses qu'il vulgarise sur le processus constituant, cependant, n'en souffrent pas en tant que telles (il ne les invente pas, d'ailleurs.) Je choisis donc de garder la référence. Allez voir, mais faites gaffes quand meme, la plupart des vidéos et articles connexes que Youtube vous proposera seront de tendance conspi-dieudo-soralo-asseliniennes.


vendredi 29 juin 2012

Trois cents ans et le sadisme chrétien bouge encore.

Quelqu'un ici se souvient-il d'une fois dans l'histoire où des compressions budgétaires massives ont relancé l'activité d'un pays ?

Une fois ?

Non ?

C'est bizarre, quand même. Parce que si on résumait brutalement les deux grandes orientations de sortie de crise proposées, on aurait un peu à gauche la "relance par la croissance," un vieux pot qui a jadis fait de bonnes soupes - et OUI, je sais qu'il y a une ou deux fois dans les années 80 où ça n'a pas marché. Je vous signale aimablement qu'il y a aussi des dizaines de fois dans les années 60 et 2000 pour l'Argentine ou ça a très, très bien marché.
Et puis, à droite, l'orientation de la rigueur budgétaire, de la coupe des dépenses publiques, politique dite du "que ces feignasses latines payent." Là, pour le coup, je vous mets au défi de trouver un exemple où ça a marché. Un exemple où ça a relancé le pays. Un exemple où ça a aidé à recréer de la richesse sans parasiter les pays voisins en faisant du dumping fiscal (spécial dédicace à l'Irlande.)

Vous trouvez ? Non ? C'est normal, il n'y en a pas. Et vous savez quoi ? Nos gentlemen rigoristes de droite le savent parfaitement. Et c'est ça qui me turlupine. Parce qu'après tout, ils ont aussi fait de bonnes études, ils ont aussi lu des tas de choses, ils ne sont pas plus bêtes que nous. Alors pourquoi s'entêter à vouloir nous serrer la vis si leur intention est de relancer la croiss....

Ah.

Oui, effectivement, la réponse est dans la question.

Donc les rigoristes ne font absolument pas ça pour relancer le pays. Mais alors quoi ? A quoi bon venir jouer les pères fouettards s'ils savent que les fouettés n'en seront pas plus avancer ?
Curieusement, cette question fait écho à une autre, qui n'a en apparence rien à voir : à quoi bon avoir l'obsession des prisons et de la répression alors que toutes les statistiques montrent que ça ne fait pas baisser la délinquance sans prise en charge simultanée de la réintégration des intéressés ?

Nous autres, à gauches, ça nous semble légèrement psychotique comme comportement. Faire oeuvre de coercition sur autrui tout en sachant que ça ne fait qu'empirer les choses est un comportement qui ne respire pas la maturité mentale.

Mais la droite, la droite... Elle aime punir. On oublie facilement cette vieille lubie chrétienne. Le coupable doit expier.  La punition vaut pour elle-même, elle n'a pas à être justifiée par des histoires de hippies comme le bonheur des peuples ou l'enrichissement de l'humanité. Des gens se sont trompés, des pauvres, par nature inférieures et  infantilisables : qu'ils expient. Qu'ils souffrent, même si le châtiement doit emporter la moitié de l'Europe. Les droitards seront contents. 
Parce que pour ces gens, le bonheur des peuples est ridiculement secondaire en face de leur morale décatie de vieux patriarche à cravache frustré. Parce qu'il jouissent tellement de voir les autres souffrir, parce qu'ils ne mesurent leur propre sécurité à qu'à l'aune de leur capacité à maltraiter les autres. Parce qu'ils trouvent que "c'est bien fait pour eux", que "y a pas de raison d'abord", que "ils avaient qu'à pas." Parce que ces "adultes" n'ont jamais muri au-delà d'une court de maternelle.

Parce que, tels de vieux curés du XIXe, ils n'arrivent plus à ressentir leur propre vertu qu'en poussant les autres à se flageller.

C'est pour ça que la réaction a tellement de mal avec l'Etat de droit. Pour avoir cette vision du monde, il faut se concevoir non pas comme serviteurs des peuples, mais comme leur précepteurs. 

Il faut du mépris et de l'indifférence à la souffrance.

Et le plus drôle, c'est que beaucoup de ces gens vont à l'Eglise le dimanche.

Seigneur, ne leur pardonne pas, car ils savent exactement ce qu'ils font...

samedi 23 juin 2012

Euro-superstitions

Vous me croirez, si je vous raconte comment en 2004, on obligeait les étudiants de Sciences-Po à apprendre par coeur la Constitution Européenne ? Ne riez pas.

Avec le recul des années, ça paraît effectivement dingue. A l'ouest. Pourtant, je n'arrive pas à en vouloir aux gamins que nous étions. Il faut l'avoir vu et vécu de l'intérieur pour comprendre. L'Europe, l'Europe... Pour nous, c'était la réponse. Quand on a vingt ans et que l'alpha et l'omega de la lutte politique est l'antifascisme et la fin des guerres, et que des professeurs encravatés, éloquents et souvent eux-mêmes sincèrement convaincus, vous expliquent que pour la première fois dans l'Histoire, les peuples s'aiment grâce à l'Europe !

Vous n'avez pas encore entendu parler de déficit démocratique, vous n'avez pas encore lu Marx. Vous ne savez encore rien du monde, d'autant plus que sociologiquement, vous avez été relativement épargné dans la vie. Et vous trouvez l'idée belle, alors vous roulez avec.

En ce temps-là, l'exposé le plus traité par les élèves posait la question suivante :
"Une Union monétaire est-elle possible sans union politique ?"

On attendait de l'élève qu'au terme d'un exposé de dix minutes en deux ou trois parties, il conclut en expliquant que bien évidemment, l'union politique devra venir, et que l'union monétaire est là pour forcer à terme l'union politique en liant de fait les intérêts des Etats entre eux. Parfois, un original souverainiste vous soutenait que tant  que l'union se faisait en dehors du contrôle des peuples souverains, elle ne pouvait être et ne serait jamais légitime. On lui répondait, avec un sourire entendu, que "ça viendra." Et nous tous, béats, de répondre : "Il faut parfois prendre de l'avance sur les peuples ! Pense à l'abolition de la peine de mort."

Tout le fait religieux de l'Union Européenne est là. Un moment donné, nous avions cessé de réfléchir et commencé à croire. Nous avons psalmodié des homélies, imaginé que l'union économique accoucherait forcément d'une union politique, que celle-ci serait naturellement démocratique. Il n'y a,  toute chose égale par ailleurs, aucune raison logique à ces deux suppositions. Pourtant, cela nous paraissait naturel, presque biologique. Nous nous croyions évolutionnistes, et nous étions créationnistes.

La nature même du plan était infaillible. Les Etats renâclaient à abandonner leurs souverainetés dans une unions politique, alors les bons européistes les pousseraient lentement à imbriquer leurs économies de façon si étroite que le jour où la crise surviendrait, ils n'auraient d'autre choix que de se contraindre à l'union politique.
Blague à part, vous savez ce que ça veut dire, en vrai, une union politique et budgétaire ? Aux Etats-Unis, par exemple, l'Etat de Floride est largement financé par le reste du pays. Pareil pour le Mississippi. A des niveaux dont la Grèce rêverait. C'est normal : une union budgétaire suppose que les régions les plus fortes du pays compensent les régions les plus faibles.
Alors, seriez-vous prêt, pour faire les Etats-Unis d'Europe, à accepter des transferts de fond massifs depuis la France et l'Allemagne en direction de la Grèce ? Les étudiants de Sciences-po des années 2000 considéraient que le jour venus, vous le seriez.

Eh bien, la grande crise est là, et je ne sais pas pour vous, mais les allemands ont répondu. Ils n'accepteront jamais de financer la Grèce. Ni le Portugal. Ni l'Espagne. Ni aucun autre pays de cette Europe. Le pays le plus peuplé et le plus riches a clairement dit qu'il lui importait peu que les pays européens plus faibles crèvent.

Et c'est ainsi que l'Allemagne tua pour de bon l'idée d'un grand pays européen, et que la stratégie qu'on nous avait tant prêché se révéla inefficace. Et nous, nous avions accepté une technocratie inhumaine, et une destructions de nos espaces démocratiques nationaux... pour rien.

Dorénavant, l'Union Européenne telle qu'elle existe, n'avancera plus. Elle est réduite à jamais à cette forme qui ne devait être que transitoire, celle d'une entité non-démocratique au service des Etats les plus riches ayant toute licence pour asservir les Etats les plus pauvres, avec comme seule légitimation la volonté de maintenir sa propre existence.

Une autre Europe naîtra, débarrassées des hallucinations du tout-économique. Et peut-être retrouverons nous dans un autre projet européen qui aurait appris de ses erreurs, l'enthousiasme que nous éprouvions jadis. Ou peut-être que l'Union Européenne disparaîtra totalement, nous ramenant vers nos Etats-nations boiteux et bornés, mais qu'au moins nous élisons nous-même.

Mais malheur à nous si cette Union Européenne survit tel quel. Car ce n'est plus l'Europe. Ce n'est plus un grand méta-Etat qui aurait à coeur de protéger ses peuples. Il n'y a plus qu'une superstructure bureaucratique exécutant son seul mandat -protéger la rente des pays les plus riches- comme un automate. Une administration sans autre but que sa propre survie, et qui organise la mise au pas des citoyens dans ce sens.

Et nous ayant cru inventeurs géniaux de la paix universelle, nous nous découvriront vulgaires plagiaires d'une des plus vieilles rengaines des hommes : la tyrannie.



lundi 7 mai 2012

Cosmétique républicaine

Les lendemains d’élections sont les pires des lundis.

J’ai vécu la journée d’hier comme un hui-clos pesant. Être du bon côté de la fracture numérique a un prix, celui de la pulsion frénétique à chercher sur le net les info qu’un utilisateur chevronné de la Toile 2.0 est sensé savoir trouver. On mourrait de ne pas savoir.

Il fallut attendre 20h pour respirer, mais le souffle était court. 51% alors qu’on en espérait 53, c’est avoir inconsciemment passé quinze jours à marcher au bord d’un gouffre et ne s’en apercevoir à l’arrivée.

Je ne vais pas revenir sur la soirée qui suivit, le soulagement, le relâchement des nerfs, la joie de circonstance et la fête de la Bastille. Sincères ou pas, les effusions sont légitimes un soir d’élection. Refuser au pays le moment des passions incontrôlées et hypocrites, des danses collectives et des chansons naïves, c’est lui refuser son cœur et sa culture.

Mais nous sommes lundi. La course reprend. Ce qui vient de nous arriver, nonobstant les deux semaines d’apnée et l’inspiration salutaire d’hier soir, n’était pas une simple élection. C’était le plébiscite organisé, esthétisé et faussement populaire de la monarchie quinquennale sous laquelle nous vivons depuis soixante ans et qui s’assure ainsi que « tout change pour que rien ne change. » Le système de la Ve République s’autorise une parenthèse gauchiste pour que son essence droitière reste intacte.

Si vous pensez que j’exagère en parlant d’essence droitière, prenez le temps de considérer ce que vous avez vécu ces derniers mois. La république, dont la légitimité n’est jamais remise en doute parce que gaullienne, vous a fait choisir un homme. Vous l’avez jugé sur des notions aussi vagues que sa « stature présidentiable », comment il pourrait représenter la « grandeur de la France », comment il pourrait « rassembler ». Personne ne prend la peine d’expliciter ce que serait exactement une « stature », et peu de gens débattent sur ce qui constitue de la France la « grandeur ». L’adjectif « présidentiable » n’est que peu descriptif, il ne fait que désigner celui qui aurait la dite stature – donc cet espèce de tenue aristocratique qui donnerait ou nom le don mystique de pouvoir prétendre à la fonction suprême.

Ce champ lexical n’est pas celui de la raison. Donc ce n’est pas celui de la République.

C’est un vocabulaire religieux, qui fait appel non pas au débat public, mais à des notions inexplicables que chaque individu doit tâcher de ressentir intérieurement. Ce vocabulaire est donc, historiquement et culturellement, monarchiste.

Après vous avoir fait voter pour ce président mystique, on vous fait élire un Parlement. C’est la grande concession du système, et vous noterez alors à quel point celui-ci s’en méfie. L’élection législative n’est pas sexy, elle ne met en jeu aucun culte du chef, alors on s’en débarrasse aussi vite que possible après la présidentielle avec comme mot d’ordre de donner les moyens au chef de faire ce qu’il veut.

Ce système électoral, à lui seul, verrouille idéologiquement la République – et ce, même si la gauche de gouvernement arrive à s’y faire une place. Car, et c’est la plus belle et la plus perverse fonction du système, cette pyramide de pouvoir est conçue pour donner le tournis à celui qui est en haut. La Ve République est faite pour endoctriner le président gauchiste avant qu’il ne puisse changer le système, car pour s’y faire élire, celui-ci doit d’abord se plier au culte du chef, céder aux tentations de la sur-personnalisation, et in fine à la monarchisation. Et la monarchisation, les enfants, à votre avis... Ca pousse à gauche ou ça pousse à droite ? Poser la question, c’est y répondre.


Que la droite s’accommode aussi bien de ce système n’a rien de surprenant : c’est son système. Elle s’y sent comme un poisson dans l’eau. L’autoritarisme et la discipline des masses lui sont idéals, et elle s’y plie le doigt sur la couture du pantalon. Cela fait partie de son folklore.
Ca ne semble pas faire partie de celui de la gauche, en revanche, d’où les espoirs systématiquement mis dans le genre de victoire que les journées comme le 6 mai nous octroient. Pourtant, à chaque fois, les sociaux-démocrates semblent se couler sans difficulté dans ce moule, et cela ne lasse pas d’interpeler. C’est que cette étiquette « gauche » qui regroupe à la fois le centre-gauche et la gauche radicale est extrêmement trompeuse, les premiers s’étant fait une spécialité de s’approprier les succès des luttes menées par les seconds – bien souvent, d’ailleurs, contre eux. Qui se rappelle que Clémenceau était un socialiste ? Que ceux-ci ont, en France et en Allemagne, voté les crédits de guerre en 1914 ? Que les réformes du Front Populaire ont été imposées à Blum par la rue ? Que c’est Jules Moch, un ministre socialiste, qui a fait donner l’armée contre les mineurs en grève en 1948 ? Qu’en 2002, le PS français soutenait l’adversaire de Lula au Brésil, avant de retourner veste ?

La gauche et l’extrême-gauche ont une tradition d’alliance contre l’ennemi commun de droite. A la faveur de cela, le public s’est habitué à faire l’amalgame entre les deux et ainsi à attribuer à la gauche de gouvernement les succès et les luttes de la gauche radicale. Pour analyser le PS convenablement, il faut oublier cet amalgame.
Et une fois que c’est fait, il ne reste qu’un parti gestionnaire, héritier du paternalisme des trente glorieuses et qui a comme vocation la conquête du pouvoir. Et c’est tout. Tout le bagage idéologique solide de la gauche venant de son aile radicale, le centre-gauche isolé de celle-ci n’est plus qu’une jachère politique, où ne pousse plus que les graines que le vent dépose. C’est ainsi que le PS est devenu au fil du temps, esclave des modes, se soumettant mollement au reaganisme dans les années 80, se concentrant sur les histoires de mœurs et abandonnant le terrain économique dans les années 90, adhérant au blairisme dans les années 2000, n’osant jamais faire autre chose que de suivre la pensée unique du moment.
Avec l’affaiblissement de l’extrême-gauche dans les années 90,  le PS n’avait plus personne sur qui plagier ses idées à gauche, et plutôt que de développer les siennes, a décidé de plagier à droite.
Et a ainsi totalement loupé le train de l’altermondialisme, qui prend enfin son essor aujourd’hui avec la constitution en appareils politiques efficaces des gauches radicales européennes, celles-ci ayant fini par synthétiser elle-même ces nouvelles aspirations sociales et écologiques.

Le PS est donc en-dehors de la vraie partie qui se joue maintenant, et qui comme l’a écrit Lordon, se joue entre ceux qui veulent rester dans le cadre actuel, et ceux qui ont mis au point des ambitions de sortie de ce cadre. Et en étant en-dehors de ce combat tout en cherchant le pouvoir, en voulant gouverner sans changer le cadre, il prend de fait le pari de rester dans le cadre. Et, ainsi de donner raison à la formule : changer pour que rien ne change.


On en revient donc toujours au même point : la Ve République est un régime pervers et doit être abattue. C’est une république plébiscitaire, créée dans des circonstances particulières, sans constituante, pour répondre à une situation de trouble précise. En d’autres mots, c’est un régime qui aurait dû être transitoire. Malheureusement, ce régime a organisé sa propre invulnérabilité en assurant l’endoctrinement de l’ensemble des partis suspects de pouvoir le changer.
C’est un régime qui se justifie sur un seul et unique argument : ne pas retrouver la proverbiale instabilité de la IVe République. Cet argument est une tromperie, car derrière l’apparence de stabilité donnée par l’inamovibilité du Président et du Premier ministre, combien de remaniement ministériels ? Quid de la valse des secrétaires d’Etat ? Il ne se passe plus un an sous la Ve République sans remaniement ministériel majeur. Quelle politique de long terme peut être soutenue dans de telles conditions ?

République superficielle, république d’apparence, la Ve République a en réalité une peur bleue du débat et du choix démocratique. Elle installe à l’occasion de l’élection présidentielle un culte du chef qui invite l’électeur à se prononcer non sur des idées, mais sur des appréciations mystiques de stature et d’aura. Elle consacre le vote utile, qui coule dans le béton la difficulté pour le citoyen de voter selon ses convictions en lui assurant toujours la présence d’un candidat-du-pire-qu’il-faut-éliminer. Et elle parachève le travail en faisant de l’élection du parlement, acte démocratique fondateur, une simple formalité. Ecoutez-les vous dire « donnez à Hollande les moyens de sa politiques aux législatives !»

Des « moyens » ! Mais comment ose-t-on parler ainsi du Parlement ? Voici l’élection des représentants du peuple, siégeant en assemblée, possédant la force législative, cette Assemblée où s’est faite et défaite l’Histoire républicaine, voici cette élection subordonnée au plébiscite délirant d’un homme élu soit sur la base d’une ferveur quasi-religieuse, soit par dégoût de son concurrent ! Le choix de juin devrait être beaucoup plus important que celui de mai. Pourtant, il lui sera accessoire. Ce n’est pas innocent : l’élection législative est la plus démocratique et la plus symbolique de toutes, et un système aussi intrinsèquement conservateur se doit de la désarmer.

Nous vivons dans un régime qui fuit le peuple, qui l’humilie, qui lui interdit l’accès à sa raison et au débat non pas en le privant d’élections, mais en faisant en sorte à chaque élection que le peuple ait quelque chose de plus urgent à faire, comme choisir un chef, éliminer un danger, ou donner des « moyens » au dit chef. Elle fait peser sur ce peuple la sourde et redoutable menace, s’il ne se plie pas à ces invectives implicites, de créer ce qu’il est convenu d’appeler « les conditions de l’inaction », terrifiante appellation qui ne désigne ni plus ni moins que le monde où les politiques et les citoyens oseraient discuter entre eux avant de faire n’importe quoi. A ce titre, la Ve République est une application frappante du sophisme néo-libérale appliqué à une institution politique : est légitime ce qui est efficace, est efficace ce qui est rapide, et rien n’est moins rapide que le débat démocratique, donc il faut limiter le débat démocratique.


Le vrai combat contre la droite n’est pas à qui dominera cette fausse république. Il est à celui qui arrivera à la détruire.

Nous sommes lundi matin et tout reste encore à faire.




samedi 21 avril 2012

Sérieusement.

Je lance un appel aux journalistes. Dites-nous que c'est un hasard.

S'il vous plait.

Convainquez-moi.

Convainquez-moi qu'on ne doive rien déduire de l'oubli du journal Métro de remettre la photo de Mélenchon et Bashar Al Assad dans son contexte à un moment de la campagne où plus aucun démenti n'est publiable.

Expliquez-moi que le tir coordonné de tous les medias de droite et de gauche contre le Front de gauche ne répondait à rien d'autre que la bonne conscience des éditocrates, et que l'oubli de mentionner le meeting de jeudi soir où nous étions 60 000 personnes tout en vantant les meetings à moins de 5000 de Bayrou et Lepen est une malencontreuse erreur.


Donnez-moi les vraies raisons qui ont poussées Hollande et Sarkozy à organiser des meeting en plein air sur le modèle du Front de gauche, alors que celui-ci ne l'avait fait que par l'impossibilité financière de louer des graneds salles.
Donnez-moi les vraies raisons qui ont poussé Hollande à vouloir tout d'un coup taxer les plus riches, et hier à prétendre qu'il désirait que la BCE prête aux Etats, soit deux idées tirées directement du programme de Mélenchon.
Donnez-moi les vraies raisons qui ont poussé Sarkozy à vouloir poursuivre les évadés fiscaux et à remettre en cause l'indépendance de la BCE, soit eux idées tirées directement du programme de Mélenchon.

Dîtes pourquoi ces deux candidats nettement en avance dans les sondages se sentent obliger d'improviser, dans la plus grande panique, des copies des idées d'un homme dont ils ne devraient avoir rien à craindre.

Dîtes pourquoi Sarkozy s'est déclaré indifférent au fait que des media et réseaux sociaux violent la loi et propagent les premiers résultats en avance dimanche, comme s'il anticipait un danger qui nécessiterait de mobiliser ses électeurs en fin de journée.

Dîtes-nous, expliquez-nous, convainquez-nous qu'il n'y a aucun rapport avec cette rumeur d'enquête de la DCRI plaçant Mélenchon à un point d'écart potentiel de Sarkozy dimanche soir, rumeur qui aurait fait paniquer tous les milieux bien informés (politiques et médiatiques.)


S'il vous plait.
Parce qu'on est samedi matin, et j'aimerais bien qu'on me convainque que l'éléphant que j'ai trouvé assis sur mon ordinateur n'est qu'une hallucination.

mercredi 11 avril 2012

Comment quitter l'empire du Milieu


Dieu, s’il existe, saurait que j’étais plutôt programmé pour le centrisme. 

Le doute systématique et la méfiance vis-a-vis des extrêmes qui est prêché à Sciences-Po ne me prédisposait pas au stalinisme décomplexé. Oh, j’ai toujours été de gauche, mais que voulait dire être de gauche dans les années 2000 ? Economiquement, le libéralisme avait conquis l’univers et ne restait comme unique champ de bataille que le terrain des mœurs. Alors on votait contre la vilaine droite réactionnaire. Le deuxième bulletin de vote de ma vie a été pour Chirac, pour faire barrage à Lepen. Le troisième a été pour Bayrou, pour faire barrage à Sarkozy. Le quatrième pour Royal, avec le même but. Avec un peu plus à chaque fois l’impression de brader son âme.
A la même époque, j’entrais par la petite porte dans le monde de l’édition. Mes dernières années à Sciences-Po auprès de professeurs désabusés m’avaient convaincu de la vanité dans la période actuelle de l’engagement politique et journalistique auquel j’aurais pu me destiner. Mais quand l’économie est devenue une science dure, uniquement affaire d’expert, que le politique n’a plus d’autre problème à régler que le mariage gay, et qu’il est de notoriété public que plus personne ne gagne sa vie ni ne peut correctement faire son travail dans le journalisme, l’édition de BD devient, pour un jeune homme, un métier aguicheur.

J’ai trottiné comme ça jusqu’en 2008, quand les banques ont explosé.

Au début, j’ai suivi ça de loin, sans penser pouvoir comprendre ces histoires de subprime, de lémanebrozeurs et de produits dérivés. Comme tout le monde. Je n’ai pas été surpris quand il a fallu sauver les banques alors que l’Etat était déjà soi-disant en faillite : même dépolitisé, je m’attendais quand même à ce que les gouvernements conservateurs, toujours renâclant aux dépenses sociales, trouvassent miraculeusement des sous pour leurs amis banquiers. Mais ça n’allait pas plus loin et je gardais pour acquis, au regard de mes années d’études, de mes dizaines d’exposés et des nombreux cours sur le sujet, que les Etats, aujourd’hui, ne pouvaient pas tout.

Et puis j’ai vu les montants donnés aux banques, et comme tout le monde, je me suis brutalement demandé si on ne s’était pas foutu de ma gueule pendant dix ans.

Les milliers de milliards débloqués en une nuit ont brutalement mis par terre les bases de ma pensée unique. J’ai pris conscience qu’il y avait quelque chose de basique, de fondamental dans cette histoire, que je n’avais pas compris, ou pas appris.

Or la crise a cette vertu qu’en démontrant l’incompétence des tenants de la pensée unique, elle laisse un champ libre pour ceux qui jusqu’ici ne pouvaient que difficilement faire passer leurs analyses. Le déclic, ce fut lui. Frédéric Lordon, chercheur au CNRS, tenant de l’économie régulatrice, exprime avec un vocabulaire fleuri et une précision notariale les origines de nos souffrances. Celles-ci avaient une explication économique qui trouvait ses racines dans les failles essentielles du capitalisme, bien sûr, des failles théorisées depuis longtemps par des penseurs comme Marx et Keynes. Malgré tout, nous avions été pris par surprise comme un général français à Sedan, et c’était là pour moi le cœur du problème.

Pourquoi, puisque tant d’analystes et de chercheurs connaissaient les défauts du système, n’avons nous rien vu venir ?

Et la réponse que j’ai trouvée auprès de Lordon, d’Emmanuel Todd, de Jacques Sapir, des auteurs des « Nouveaux chiens de garde » et de « L’oligarchie des incapables » et à travers eux de Bourdieu et de Marx a été glaçante. Tous ces auteurs ont fait l’analyse sociologique et ethnologique des milieux professionnels des experts, journalistes, politiques, économistes vulgarisateurs et universitaires qui théoriquement auraient dû jouer le rôle de la sirène d’alarme dans cette histoire. La conclusion n’était pas une théorie du complot. C’était pire.  C’était une infirmité de classe. Un aveuglement global, ontologique, d’une classe dirigeante qui fonctionne en vase clôt depuis un bon siècle, et qui est devenue fondamentalement incapable d’analyser objectivement le système capitaliste tant ses intérêts y sont liés dans des réseaux professionnels, familiaux et amicaux.

En gros je découvrais que les théories que j’avais dans mes jeunes années classées comme certes, intéressantes et importantes du point de vue historiographique, mais légèrement paranoïaques et conspirationistes, s’avéraient objectivement fondées.

Et dans cette même foulée, je comprenais que sociologiquement et idéologiquement, les socio-démocrates actuels venaient du même moule, s’étaient à force de gouverner liés aux mêmes intérêts que les autres. Je prenais conscience de toutes les forfaitures de la gauche modérées dans l’Histoire du XXe siècle.

Alors la pourriture du système devient autrement palpable. Mais j’aurais toujours pu voir ça comme un exercice de long terme et donner dans le « réalisme » à court-terme. Continuer à soutenir le moins pire. Voter PS quand même en espérant, lentement, faire changer les choses.

Perdu. Il y avait la Grèce. Le grand laboratoire du libéralisme, là où le stade ultime du capitalisme réalise enfin son rêve : démembrer et anéantir concrètement un Etat. Ca se passe aujourd’hui. Pas loin. Ca a commencé en Espagne et en Italie.


En août dernier, seuls deux hommes portaient ces inquiétudes et leurs proposaient des solutions : Montebourg et Mélenchon (je ne compte pas Marine Lepen : les héritières multimillionnaires machistes, racistes, islamophobes, homophobes et ultracatho sont intrinsèquement contre-révolutionnaires, qu'elles soient néo-libérales ou pas.)
Montebourg est hors-course. Alors je vote Mélenchon. J’ai décidé cela avant même de l’avoir vu sur scène, avant d’avoir vécu la foule de la Bastille. Je vote pour le parti qui porte les idées des économistes atterrés, ceux qui avaient tout prévu et que personne n’avait écoutés. Je vote pour le parti de gauche qui ne parle ni de faire le communisme, ni de se soumettre à l’économie de marché, mais de la République, souveraine et démocratique, qu’il faut rétablir.

Pourtant je lis les journaux, je lis Jacques Julliard dans Marianne, et j’apprends qu’en réalité, moi et les autres électeurs du Front de gauche  ne sommes pas des électeurs mais le public d’une rock-star. J’apprends que le programme du Front de gauche est un programme qui « donne du rêve » alors qu’il y a un programme politique précis. Que Mélenchon « séduit la foule » alors que les rassemblement du Front de gauche étaient pleins à craquer avant même que les talents de tribuns de Mélenchon soient reconnus par la télé (probablement des gens qui passaient par là par hasard.) J’apprends que nous sommes la gauche « pas sérieuse » alors que nous avons, en premier, chiffré les recettes et les dépenses de notre programme.

J’ai perdu mes dernières illusions sur le monde des journalistes. Ils voient une scène, un type qui parle, des gens qui sont venu le voir à leur frais et qui applaudissent : c’est une rock star. Il voient une scène, un type qui parle, et des gens à qui un parti politique a payé le billet train qui baillent au premier rang : c’est un meeting politique. Voilà l’étendue de leur imagination.
Deuxième étape : la rock star réuni plein de monde en plein air. Hitler aussi réunissait plein de monde en plein air. Donc les réunions en plein air, c’est nazi. Voilà l’étendue de leur vision politique.

C’est n’est même pas de la mauvaise volonté. Ce n’est même pas de l’incompétence. C’est la bêtise pure et simple de gens qui ont le nez dans le guidon depuis tellement longtemps qu’ils ne sont plus habitués à penser. Ils n’écrivent plus leurs articles, ils les génèrent comme un programme informatique génère un fichier : sans regarder ce que c’est. Ils oublient la première leçon du chercheur : rien n’est évident, rien n’est acquis  – et le « bon sens » n’existe pas.
Et quand le candidat du Front de gauche s’accroche avec l’un d’entre eux, ou critique le système médiatique dans son ensemble, c’est  au niveau personnel que chacun se sent attaqué, comme le prouve la virulence des réactions. Admettre que l’un d’entre eux puisse mal faire son travail, c’est admettre explicitement ce secret de polichinelle qui les mine tous : plus aucun journaliste en France n’arrive à travailler correctement, et tous le vivent mal.
Ils se réduisent à un groupe de gens qui, ne pouvant plus accomplir ce sacerdoce qui définissait leur utilité publique, en conçoivent une grande culpabilité et une infinie susceptibilité. Et comme souvent, de telles personnes finissent par dire n’importe quoi.


Non, mes amis journalistes, Jean-Luc Mélenchon ne me fait pas rêver.

Il ne me « donne pas du rêve » non plus. Vous avez une curieuse idée du rêve.
Tolkien m’a donné du rêve. Lucas m’a donné du rêve. Dan Simmons m’a donné du rêve, à l’époque où il écrivait des histoires au lieu de dénoncer les étudiants palestiniens. Hergé a donné du rêve. Spielberg a donné du rêve. Toriyama a donné du rêve.

Il se trouve que je n’ai envie de voter ni pour Tolkien, ni pour Lucas, ni pour Hergé, mais que je vais voter pour Jean-Luc Mélenchon. Qui, lui, ne me donne pas du rêve.

Il donne de l’espoir et de l’ambition, et les enfants, ce n’est quand même pas la même chose.